9/9 – Un carnet de maternité

 

 « J’ai décidé de le garder, mais je me demande si ce n’est pas lui qui me garde. »
Romy Schneider – César et Rosalie – Claude Sautet.

CARNETIllustration : Joan Cornellà


 

On me conseille d’acheter un pot de chambre. Les perspectives sont réjouissantes.

 

 

Je rêve… Est-ce moi qui suis en train de ne pas boire de bière ?

 

 

Je lis J.F Billeter : Une autre Aurélia, c’est beau. Il se compare à un phénomène météorologique après la disparition de sa compagne. Ça marche aussi avec l’apparition.

 

 

Le corps-usine. En ce moment s’y fabriquent 100 000 neurones étrangers à la minute. Tout va bien.

 

 

J’ai pleuré pendant mon sommeil. Et j’ai pleuré en ne faisant rien. Et j’ai pleuré devant Groland. Et là j’ai ri, j’avoue.

 

 

J’ai rêvé d’un aquamammouth, visible le jeudi après-midi dans la piscine de la troisième serre du jardin des plantes. Il n’a pas daigné émerger pendant mon rêve, conservant ainsi son statut de mythe éternel. À peine quelques ondes à la surface du bassin. Oh, Aquamammouth.

 

 

« Regardez : on voit bien son activité cardiaque là, c’est merveilleux non ? ».

C’est carrément l’angoisse, Michel.

 

 

Pour accepter la prise de pouvoir totale de mon corps, je lis un essai sur les transhumanistes, ces cons. Ça fonctionne : je lâche prise.

 

 

Elle.fr : « Hélas, il arrive à moins d’1% des femmes que la grossesse pourrisse complètement les cheveux au lieu de les embellir ! ». Quelle veine, choubie la vie.

 

 

L’auteur Pierre Cendors vient juste d’émettre l’hypothèse de « l’indétermination sexuelle de l’embryon, qui persisterait quelque part dans le corps de l’adulte ».

 

 

Charlotte est une amie de longue date. C’est le genre de fille qui t’envoie une carte postale de L’Origine du monde de Courbet avec l’empreinte vermillon de ses lèvres collée dessus, sans enveloppe, sur ton lieu de travail. À l’annonce de ma grossesse, son sms n’a pas démérité : « Feu ton périnée, chiennasse. »

 

 

Je rêve que je suis un fil de coton qui m’emmène dans des abysses sous-marins. Je suis le même chemin retour. Au lieu d’une plage, c’est le bout d’une rue qui m’accueille en surface, dans une ville endormie. Je me réveille.

– Tu as bien dormi ?

– Je veux le bébé de toi Jack.

 

 

J’ai déjà grossi, je me console : je n’ai aucune raison de maigrir.

 

 

– J. ?

– Oui ?

– On a faim.

– …. Ah ah ah !

– Te fous pas de nous tu risques gros.

 

 

On me propose le test sanguin après l’examen de clarté nucale. Je me renseigne, l’avortement est autorisé à tout moment de la grossesse dans le cas de détection d’une trisomie 21. Nouveau vertige. On me conseille de ne pas y penser. J’y pense tous les jours.

 

Elle.fr : « Je suis devenu son laceur de chaussures ! » Fabrice, jeune papa.

Les perspectives sont décidément réjouissantes.

 

 

C’était le nouvel an. La tempête Carmen faisait rage sur l’île d’Oléron, et, très avinés, nous sommes allés nous promener nocturne sur la plage pas loin de la maison. La lune était énorme et éclairait de sa lumière fantomatique toute la baie, blanche, métallisée. Le bruit du vent était assourdissant, les flots tempétueux, un champ de lave en mouvement. C’était dangereux, et en même temps ça ne l’était pas. Alors, comme pendant l’enfance, j’ai hurlé de joie et d’excitation, à pleins poumons je l’ai fêtée, la nouvelle année, le cri a duré longtemps, comme pour faire de la place, à l’intérieur.

 

 

En cours collectif, à l’hôpital : “Non mais je vous rassure, les femmes cumulent très rarement plus de trois de ces inconvénients de grossesse !” Quelle veine, choubie la vie.

 

 

– Han non mais attends elle a été abonnée aux horreurs, trois fausses couches et puis à 6 ou 7 mois à chaque fois, on découvrait que les fœtus n’étaient pas viables à cause de malformations ou je ne sais plus mais enfin… l’horreur quoi !

– …

 

 

Je passe ma vie à la piscine, je m’y déplace avec la grâce du cachalot moins l’expérience. – Un nageur me double sur la ligne – Je pense mise en abyme de la gestation ; bassin, eau, liquide, lévitation, légèreté… – Le nageur me croise dans le sens inverse – Je pense à nos vies aquatiques, celles d’avant, je pense qu’on est principalement composés d’eau. – Il me redouble – Il paraît que le nouveau-né a des réflexes archaïques de poisson chat, il naîtrait donc bourré de savoirs – Je le recroise dans le sens inverse – et on les remplacerait par d’autres : ce serait donc tout ? – Fin de la longueur.

 

 

– Nan parce qu’attends, une fois le fœtus éjecté, le placenta a commencé à empoisonner la mère !!!

– …

 

 

Jattendsunbebe.fr: « Vous entrez dans votre 12ème semaine de grossesse, félicitations ! Votre bébé à la taille d’une grosse cosse de petits pois ! Attention, vous avez encore un peu de vomi sur le menton ! »

 

 

« – Nan mais attends, il avait un moignon à la place du bras droit, le cul à la place de l’œil gauche, et une queue de castor, et il était mort par empoisonnement placentaire et la mère n’a jamais pu REBOIRE DE BIERE ! »

– J. !!! J’ai fait un cauchemar horrible !!!”

 

 

Qui a fait cet album ? Qui a produit ce texte ? Qui a fait ça ? Vais-je pouvoir redevenir comme avant ou resterais-je à jamais cet être coincé entre le mammifère, le légume vert et le tapis persan ?

 

 

« Le gynéco :  – C’est magnifique ce qu’on parvient à faire comme cliché 3D du fœtus aujourd’hui, non ?

J : -…… oui oui, c’est sûr que… c’est…. hum…. Wahou !

Moi : -…Pourquoi y a-t-il quelque chose plutôt que rien ? »

 

 

// Il faudra le positionner face à la rue dans le porte-bébé, il dormira mieux la nuit.

// Il faudra le positionner face à vous dans le porte-bébé, il a besoin de ce contact pour être rassuré.

// Ne choisissez pas son positionnement dans le porte-bébé, il le fera tout seul quand il aura l’âge de le faire.

 

 

– Et J. ? Comment a t-il pris la nouvelle ?

– Oh, il n’aurait pas réagi différemment si je lui avais annoncé qu’il avait un cancer en phase terminale ou qu’une pluie d’astéroïdes s’abattrait incessamment sur l’ensemble de son matériel de musique, ou les deux, et puis, il a été heureux.

 

 

Personne n’ose toucher mon ventre dans la rue, je m’étais tellement préparée à un direct du droit que je suis presque déçue.

 

 

– Pourquoi certains regardent ton ventre fixement avec ce regard de bovin ?

– Je n’en sais rien… Les masques tombent… ?

 

Juillet. Je pense que par la force des choses, de futurs parents pensent en ce moment même « La France championne du monde de foot 2018, l’année de ta naissance, c’est merveilleux mon chou d’amour » ou « La France championne du monde de foot 2018, et tu n’es pas encore là pour le voir, quel dommage ». Ces rejetons rencontreront bientôt L’Enfant dans une cour de récréation, et ils le pervertiront à tout jamais, et ce sera le règne des ténèbres et du mal absolu.

 

 

Dans le bus, sachez bien que les personnes âgées seront toujours plus âgées que vous ne serez jamais enceinte.

 

 

9 mois sans un seul paradis artificiel. 100 % consciente, 100 % dispose, 100 % là… 100 % Near death experience

 

 

J., non mais… tu penses sérieusement que c’est une fille… à trois jambes… ?

 

 

J’ai perdu un oncle qui était comme un père pour moi, il y a 12 ans. Après son décès, il venait me visiter en songe régulièrement, et puis une nuit, tous deux accoudés au zinc d’un rade obscur, il m’a dit qu’il ne reviendrait plus, que c’était marre. C’est un homme de parole, il n’est plus jamais revenu. Sauf cette nuit, 10 ans après. « – Mais… qu’est-ce que tu fais là ?! – Il me semble que tu as quelque chose à m’annoncer… ? – … C’est vrai… Je vais avoir un petit… » Les souvenirs du rêve s’estompent, reste la sensation d’un amour infini.

 

 

L’enfant naîtra donc dans un monde débarrassé de Serge Dassault. Vous avouerez que c’est une maigre consolation au vide intersidéral que laissera dans sa vie la disparition de Jean Rochefort. Je culpabilise.

 

 

En juillet, les scientifiques ont découvert un lac souterrain de 20km carrés sur Mars. L’ampleur du dessous des choses, c’est effrayant.

 

 

– Il faut chercher le centre de la terre. Il faut pousser jusqu’au bout du passage, là. On va chercher loin loin.

– … Jules Verne ?

– … Sans blague… Concentrez-vous…

 

 

Jattendsunbebe.fr: ” Préparez un sac avec quelques en-cas pour votre mari, prenez des piles ou batteries supplémentaires pour les appareils photo, de l’huile de massage, une radio, un carnet d’adresse et quelque chose d’amusant à lire pour lui faire passer le temps pendant l’attente de l’accouchement.” Aurélie.

– J ?

– Oui ?

– Tu peux venir relire un truc là, j’ai peur de bien comprendre ce qui est écrit.

 

 

// Aucun médicament pendant la grossesse, malheureuse !

// Vous prendrez ce médicament tous les jours pendant le dernier mois de grossesse, c’est très important !

 

 

Mathilde.

– ça s’est bien passé pour toi ?

–  J’ai détesté être enceinte, j’ai gonflé de partout et j’ai eu le diabète gestationnel.

– …Et l’accouchement ?

– J’ai détesté mon accouchement, j’étais dans une chambre double, la mère à côté de moi mangeait des kebabs à longueur de journée, j’ai dit à mon ami : « Pars ! Prends l’enfant avec toi et pars, laisse-moi ! »

– Bon bon… Et en rentrant, ça s’est arrangé ?

– J’ai détesté avoir affaire à un nourrisson. C’est le papa qui a pris le congé.

– Et… maintenant… ?

– J’adore ma fille, sa façon de voir le monde, je prends mon pied.

 

 

J’ai lu Troisième personne de Mréjen : les premiers mois n’ont l’air que relativement invivables si on n’a pas peur de se réveiller tout habillé sur le canapé au milieu de la nuit, et puis, elle ne parle pas tellement de caca.

 

 

(Pregnantwo)manspreading.

 

 

« Alors voilà, on vous dira « Arrêtez de pousser ! Car on craint une déchirure de la membrane avec le passage de la tête du bébé du vagin jusqu’à l’anus. On jauge alors s’il faut prévenir cette déchirure en pratiquant une petite incision, de quelques centimètres en biais à partir de l’ouverture du vagin, c’est l’épisiotomie, ou si elle n’est pas nécessaire. Et hop, une fois le bébé sorti, on recoud tout ! Après bien sûr avoir été cherché au besoin à l’intérieur de vous le placenta à la main, qu’on aura pris soin de tripatouiller consciencieusement pour voir s’il ne reste pas un bout coincé là-haut, ce qui serait très fâcheux. C’est ok pour tout le monde ? On peut passer aux effets secondaires de la péridurale ? »

 

J :  – Alors, quoi de neuf aujourd’hui à la maternité ?

– Oh… Et bien… Les chambres sont individuelles ! Génial, non ?

 

 

7eme mois. Première inquiétude : « Il a une dilatation rénale à gauche, je vous programme une échographie de contrôle dans 3 jours. » Au jour J, tu es certaine qu’il souffre de reflux urinaires in utero traumatiques. À J+1, qu’il est trisomique. À J+2, qu’on vit très bien en étant trisomique avec un seul rein et quelques reflux. Au matin du troisième tu aurais fait le deuil mais la radiologue est sans appel : « RAS, bisous. »

 

 

De gravide à parturiente, le corps colonisé, pompé, déformé, engrossé, engraissé, infiltré, vampirisé, déchiré, découpé, évidé… Quel est le secret des récidivistes ? Je n’en vois qu’un : l’oubli.

 

 

– J… ? Tu crois que Ridley Scott a eu ses enfants avant ou après son premier Alien ?

– Avant, d’où la justesse.

 

 

Il existe un mois, précisément le 8eme mois de grossesse, qui prouve que les notions d’évolution et de progrès doivent être dissociées : la femelle gorille a le port adéquat pour son lourd chargement, la baleine enceinte vogue aussi légère avec ou sans progéniture intégrée, quand toute notre vaniteuse verticalité et la fébrilité de notre architecture ne nous apportent que sciatiques et lumbagos. Ajoutons à cela la disgracieuse démarche de cowboy ventru emmerdé par le moindre trottoir, et alors seulement, jugeons l’espèce.

 

 

Je n’ai pas la démarche féline

J’ai le dos des femmes ancêtres

Les jambes arquées

De celles qui ont portagé

De celles qui accouchent

En marchant

Joséphine Bacon, Uiesh / Quelque part

 

 

– Maman ?

– Oui ?

– Tu peux me le dire maintenant : quand tu m’as privée de vacances avec ma copine Margot en 88, c’était pour te venger, n’est-ce pas ?

 

 

J’ai fait un rapide tour d’horizon de tes géniteurs, tu pourrais possiblement hériter de ces tares cumulées : ongles incarnés aux pieds, jambes trop courtes, scoliose, hyperlordose lombaire, hyperlodose cervicale, cyphose, œil gauche qui fait le tour du globe, incisives qui se chevauchent, cœur trop fragile, cheveux qui poussent en largeur, grains de beauté façon chocopops transgéniques. J’espère au moins que tu auras le sens de l’humour.

 

 

Mille et un projet, virages, désirs m’envahissent, vite vite, m’accomplir. « Tu vas d’abord avoir un enfant, chaque chose en son temps » me dit-on. Je ne comprends pas l’injonction, tout est tellement lié, tout est si impérieux, tout ne peut que se passer simultanément… Me reviennent comme un mantra les mots de Babx dans sa chanson L’Alpiniste : « Je ferai briller ma vie, pour qu’on s’aime… bien après les cimes ».

 

 

– J’ai visité une salle d’accouchement ce matin. On peut apporter de la musique.

– Ah oui ? ça t’évoque quoi?

– Notre best of de John Carpenter ou d’Howard Shore.

 

 

Ça y est. J’ai perdu les eaux devant la saison 4 du Bureau des légendes, pendant que Malotru (Kassowitz) négociait avec les services secrets russes autour d’un piano à queue dans un appartement du Kremlin après quelques heures de contractions plus ou moins douloureuses les nouvelles conditions de sa liberté.

 

 

Je prends une douche. J. se fait un café. Il est trois heures du matin :

« J’ai l’impression qu’on part au ski ! »… s’exclama t-il…

 

 

Direction la maternité au bout de la rue, à pied, vers notre destin, quelque part entre la ligne de tramway 3bis et le périphérique.

 

 

« Tu marches et tu prends la mesure de ton monde : ce que tu peux parcourir » (Caroline Audibert, Des Loups et des hommes – Enquête en France sauvage)

 

 

Parvenus à la barrière pour le passage des voitures (personne ne vient accoucher à pied), nous sonnons pour qu’on nous l’ouvre, le type baragouine un truc qu’on ne comprend pas et n’ouvre pas. Nous sonnons à nouveau. Il nous hurle dessus avant d’ouvrir la barrière. Nous restons estomaqués devant l’interphone.

« Tu vois J., comme le jour le plus exceptionnel pour les uns peut s’inscrire dans la plus désastreuse routine pour un autre ? Comment croire alors à la possibilité de faire peuple ? » Et le portail s’ouvrit enfin sur nos promesses qui se situent à l’arrière du bâtiment porte de service D pendant les travaux si vous venez de nuit jusqu’au 13 décembre.

 

 

– « Vous êtes la cantatrice de la péridurale vous !

– Taaaaaaa gueueueueueule ! »

 

 

Ouverture à 5. À chaque contraction dans la salle de travail nous recevons la visite d’une équipe de plus en plus nombreuse. « Mettez-vous sur le côté droit pour voir », à la suivante : « Et sur le côté gauche là, allez-y ». Une autre contraction, ils débarquent à 6 au pied du lit, je m’attends à ce qu’on me demande de me mettre à quatre pattes sur le lit avec la jambe gauche en l’air et le bras droit derrière le dos, mais la sage-femme, forçant sur la gaieté, me lance : « Aaah de toute façon les garçons ça n’aime pas sortir tout fripés, c’est très coquet ! ». Va pour la césarienne, Cyprienne.

 

 

– On dirait son père !

– C’est le portrait craché de sa mère !

– Il ressemble à un chinois.

 

 

07h18 : Tu es là.

07h19 : Tu n’es plus là.

Hop ! Parti voir papa.

 

 

On met une heure à me recoudre. Une anesthésiste me caresse la tête pendant toute l’opération, de derrière le rideau on me lance : « Là vous allez sentir qu’on appuie très fort », je me concentre sur sa douceur, ses yeux au-dessus des miens, tu l’éprouves là, très concrètement, la sororité.

 

 

Et puis la salle de réveil, seule, allongée, shootée et anesthésiée, pendant deux heures :

– Quelle heure est-il ? J’ai le droit de les voir ?

– Il faut vous reposer vous verrez le bébé après !

– D’accord… Et là quelle heure est-il ? J’ai le droit de les voir ? »

 

 

Ils arrivent enfin, te voilà dans mes bras. J. me dit « Je n’arrête pas de pleurer », en pleurant, ce qui le rend tout à fait crédible.

 

 

Ton premier jour hors de la couveuse, une sage-femme a voulu te réchauffer en plaçant ton lit au-dessus du chauffage électrique entre les courants d’air des deux fenêtres. Nous t’y avons laissé jusqu’à ce qu’elle quitte la pièce : pas question de froisser le personnel.

 

 

À 20 ans tu taperas sur un moteur de recherche : « Que s’est-il passé le jour de ma naissance », et tu liras : « Patinage artistique : James et Ciprès gagnent à Grenoble et se qualifient pour la finale du Grand Prix ISU ». En fait, il y a eu une marche nationale contre les violences faites aux femmes (tu pourras me demander ce que ça veut dire, je t’expliquerai le Moyen Âge), et puis c’était aussi le jour de l’Acte 2 de mobilisation des Gilets jaunes qui, sur les ronds-points, se trouvaient déjà d’autres rêves communs que la baisse des prix des carburants.

 

 

Me lever, te porter et te nourrir les abdos déchirés par l’opération et le ventre agrafé façon Officedépôt fut le supplice des premières nuits.

 

 

En souvenir de ta venue au monde, un sourire éternel gravé sur le bas du ventre.

 

 

Quel nom te donner ? Celui de mon père ou celui de J. ? (La question contient un piège) On pourrait me répondre : « prends celui de ta mère ! », mais c’est celui de mon grand-père. Et puis les noms à rallonge pour la parité, non merci. (J’imagine les couples féministes qui souhaitent faire figurer leurs deux noms à particules dans le nom de l’enfant : fils-fille de de de de… Bonjour l’Ancien Testament au moment de l’appel en classe.)  Alors bon ? On a dit nos deux noms à voix haute, et on a choisi celui avec des ailes partout.

 

 

On me demanda très régulièrement si la montée de lait opérait, cette sollicitude me touchait. J’ignorais alors la perfidie à l’œuvre : dès que je les en informais, on cessa de m’administrer la bienfaisante morphine qui soulageait mes douleurs abdominales, pour la remplacer par un malheureux cachet de Doliprane, comme si la césarienne n’était qu’une bonne gueule de bois. On m’expliqua tardivement qu’on me l’avait caché pour ne pas décourager mon allaitement. C’est ainsi qu’ils allaitèrent mon découragement, et, vengeresse, je les boudais pendant au moins une heure.

 

 

J. : Tu te plains tu te plains, mais tu sais combien d’heures de souffrance indicible représente ce simple tatouage, hum ?!

 

 

  1.  : Je peux rester un peu plus tard ce soir au cas où il y aurait un souci ?

L’aide-soignante : – En même temps, qu’est-ce que vous pourrez faire s’il y en a un ?! Hein ?!

Moi à voix basse : je vais lui griffer le visage violemment et le sang va perler d’abord puis jaillir en torrents féconds.

J. : Tout le monde : on reste calme.

 

 

L’arrondissement est mixte, l’origine ethnique des bébés de sa maternité aussi, c’est bigarré dans les couloirs, c’est chamarré dans les chambrées, c’est l’arc en ciel en néonat, c’est beau. Tu y es surnommé « Le Bébé Evian » : « On n’a pas souvent de petit blond ici ». C’est vrai que même les bébés noirs, ils sont blancs, dans les pubs Evian.

 

 

J+4, ça y est, on va sortir. J. a tout préparé à la maison, notre joie est fébrile, nous allons poser un pied dans un monde nouveau, nous mesurer à l’épreuve du trio, rééchanter le monde, quand soudain : Constantin.

 

 

Constantin est un pédiatre d’origine roumaine tout ce qu’il y a de plus compétent, simplement, Constantin parle de façon assez inintelligible et échouerait lamentablement à l’épreuve du tact, Constantin n’en est pas moins touchant, bloqué sur le mode Tentative : « Nous avons problème avec bébé.  Résoultats pas bons hyperc[BROUILLÉ] dangereux. Bébé hospitalisé ici. Je sais c’est dour madame. Nous vous dirons tout. » Il sort.

 

 

  1. n’a toujours pas le droit de rester malgré les prolongations : Normalement c’est « on part à deux on rentre à trois » bon là c’est « on part à deux, je rentre tout seul. »

 

 

Nous : – Son taux de calcium dépasse donc les 2,8 mol, largement puisque nous sommes à 3,2 c’est bien cela ? Vous allez donc contrôler les glandes parathyroïdiennes ? Le cas échéant c’est donc le service d’endocrinologie qui prendra le relais ?

La pédiatre : Jemeprendspourunspecialiste.com ?

 

 

En néonat des copines viennent d’arriver : trois toutes petites sœurs lovées les unes contre les autres dans un grand couffin, la mère peine à se déplacer. Elle tient à les allaiter toutes un peu, je la regarde évoluer façon shiva du nibard avec une admiration béate. Le père arrive, hagard, heureux mais hagard :« Nous avons déjà deux enfants » me dit-il. Je n’arrive même pas à me représenter l’affaire… On s’accorde sur un troisième, allez, on peut le faire, quand soudain : Les Triplettes de Belleville. (coef. à appliquer : x 2,5)

 

 

Nous rentrons enfin à la maison. Trois jours plus tard, tu fais un malaise.

Il est minuit et J. te trouve plus amorphe qu’ensommeillé. Je te prends dans mes bras et t’appelle, et t’appelle encore, tu es comme mort, ton corps est lourd, tu n’es pas là. En moi s’ouvre un puits sans fond, je glisse dans le noir. Ma mère est venue nous rendre visite, je me précipite et te mets dans ses bras, « Prends-le ! Prends-le ! »Je supplie. Elle te pince pour te stimuler, et tu refais finalement surface, lentement, tes petits doigts se plient et se déplient, tu es là. Le SAMU pédiatrique débarque à la maison, constate que tu es en vie, et, avec la bonne humeur courante chez les sauveurs du monde confrontés quotidiennement au pire et surtout aux parents, s’affaire autour de toi. Ma mère est à tes côtés. J. et moi sommes loin de vous, repliés dans un coin du salon. Ce soir-là nous t’avons craint comme des plus petits que toi, ce que tu as ouvert en nous était inédit, et c’était insupportable. Ma mère et moi montons à l’avant de la camionnette du SAMU stationné en bas de l’immeuble, pendant qu’ils t’installent derrière. Ma mère me serre dans ses bras, je m’effondre et lui dis : « On n’y arrivera pas… On n’y arrivera jamais… Il est trop petit. »

 

 

J-2 / Jour de Noël – Urgences  de S. « C’est un gros rhume »

J-1 / Lendemain de Noël – Pédiatre de S. « C’est une bronchiolite sans gravité »

Jour J / Urgences de R. « C’est une bronchiolite virale virulente, il a aussi une pneumopathie au poumon gauche et 40 de fièvre, on l’hospitalise »

 

 

Pour t’injecter des antibiotiques, on préfère te poser un cathéter sur le crâne, le personnel te surnomme désormais « La décodeuse Canal ».

 

 

Me voilà repartie pour des nuits sur un coin de fauteuil d’hôpital, à remettre en pratique la fameuse figure classique de la jambe à la barre, (moins la grâce de mes 7 ans), pour te faire téter sans arracher les fils du scope, à manquer de perdre mon majeur pincé par les barreaux amovibles de ton lit dans la foulée… heureusement le distributeur de Kit Kat en bas prend la carte bleue, « parce qu’on ne sert pas à manger aux accompagnants. »

 

 

À la boulangerie, des clientes :

– Oh il est tellement mignon ! Il a quel âge ?

– Ooooh il est tout neuf non ?

– Bonzour vous ! bonononzour vous ! Mais oui ! Mais oui ! Bonzour vous !

– Et dire qu’il y a des gens qui violent des nourrissons !

 

 

Faire tes nuits ? Foutaises. Peut-être un jour consentiras-tu à faire les nôtres, et nous à admettre que nous t’aurons alors un peu domestiqué.

 

 

// Donnez-lui des biberons, ça le fatiguera moins.

// Surtout restez au sein, c’est ce qu’il y a de plus physiologique.

 

 

Ma sœur : Oui tu vois c’est pour le petit, c’est une veilleuse qui projette des ondes aquatiques sur le mur, c’est pas mal fait non ? L’océan dans sa piaule !

– Ah oui oui… Et c’est quoi qui flotte dans l’eau là ? des morceaux de plastiques ?

– ….

 

 

On m’a vanté l’utilité d’écouter de la musique pendant la grossesse. Il paraît que le bébé reconnaît les mélodies entendues intramuros, et s’apaise. Ça n’a pas du tout marché dans mon cas. C’est au hasard de l’écoute aléatoire d’une playlist à la maternité que j’ai découvert ton coup de foudre pour « Almost blue », de Chet Baker. Je passais donc le morceau en boucle aux heures critiques, ce qui a fini de convaincre les aides-soignantes : « … On vous a déjà parlé de la dépression post-partum ? »

 

 

Mon petit bout d’homme, mon petit bison des plaines de l’ouest, ma super glue, ma vanille bourbon, mon chaton laveur, ma terreur nocturne, mon petit vomito, ma biche des bois sacrés, mon si mineur, mon gri-gri mordoré, mon cacatoes, mon coussin péteur, mon mont Pelé, mon tout petit, mon miracle, mon rivage, ma douceur, mon safran d’automne, mon sans-dents adoré, ma loutre, ma vitamine, mon pain d’épices chouineur, mon brailleur, mon petit geyser, mon éclat, mon chocolat, mon petit dos argenté, mon petit chérubin, mon chou d’amour, ma brioche salée, ma boule à zéro, mon diabolique petit monsieur, ma vigie, mon nanorganisme, ma puce adorée, mon mystère, ma petite bétonnière, my little Buddha, mon pacha des îles, mon petit phénomène, mon escargot à moteur, mon hélice d’aéroplane, ma sirène hurlante, ma bestiole d’Aldebaran, mon petit piston, ma petite tête d’ampoule, mon château dans le ciel, mon joyau de la couronne, mon lionceau des plateaux, la petite personne (to be continued)

 

 

J. : – Viens vite, vite !

Moi : – Quoi ?

– Regarde ! Ce merveilleux caca bouton d’or qui remonte jusqu’à sa nuque !

– Oui, c’est merveilleux.

 

 

Cette nuit je rêve qu’une louve et une ourse et leurs petits nous ouvrent la voie au sommet d’une montage enneigée. Je me sens en sécurité dans l’immensité blanche.

 

 

// Ouvrez les fenêtres, ça fera baisser la fièvre.

// Fermez la fenêtre ! Vous aimez avoir froid quand vous êtes malades, vous ?

 

 

Tu as deux mois, je suis habillée comme une poubelle d’immeuble qu’on aurait oublié de sortir à cinq reprises alors que toi – qui ne fais même pas encore la distinction des couleurs – es tiré à quatre épingles : le prolétariat du nibard n’oubliera rien.

 

 

Tu plisses beaucoup le front, ça te donne l’air préoccupé de la génération à laquelle il incombe de sauver le monde.

 

 

– Vous utilisez quel bruit blanc pour le calmer vous ?

– Nous, c’est la hotte

– Nous, le sèche-cheveux

– Nous c’est l’aspiro

– Nous un Korg MS10 de 1979, mais le petit a tendance à préférer un bruit rose pour sa densité spectrale de puissance inversement proportionnelle à la fréquence du signal.

 

 

Car un enfant qui pleure

Qu’il soit de n’importe où

Est un enfant qui pleure

Car un enfant qui meurt

Au bout de vos fusils

Est un enfant qui meurt

Que c’est abominable d’avoir à choisir

Entre deux innocences

Que c’est abominable d’avoir pour ennemis

Les rires de l’enfance

Barbara, Perlimpinpin

 

 

Au feu rouge, à la hauteur du taxi qui me ramène chez moi, un couple dans une voiture. La conductrice dévore son passager du regard et sourit avec une absolue concupiscence. Ça n’a rien à voir avec le sujet de ce journal, ou bien tout, je ne sais pas.

 

 

La rééducation périnéale consiste à attraper les poissons sur un écran grâce à une sonde située dans le vagin qui capte les contractions du périnée.

Ça me rappelle les jeux en 2D de mon enfance. J’imagine un cabinet de kiné qui proposerait de la rééducation avec une version adaptée de Wolfenstein.

– Et hop, encore un nazi de moins sur la surface de la terre.

– C’est bien, mais n’oubliez pas de respirer. »

 

 

– Tu es toute pâle ! ça va ?

– Je lui coupais Ses Ongles et lui ai légèrement entaillé le Saint Index, son Sang perle.

 

 

“C’est n’importe quoi votre cicatrice là, il faut la malaxer, la triturer, elle est trop en relief et on risque des adhérences, ce serait dommage, vous pourriez accoucher une dernière fois, par voie basse.” Alors qu’on pense que l’aube se lève sur des jours sans tétées, que l’arc-en-ciel du mieux-être brille comme une promesse au-dessus du foyer, nous voilà à faire des allers-retours matins et soirs sur une cicatrice huilée avec un aspivenin force 7 au cas où cette vieille peau aurait une dernière chance.

 

 

« Qui sait si on s’en remet, de cette dose dramatique de douleur… »

Clara Dupuis-Morency, Mère d’invention.

 

 

La belle-mère : – Il a tout de son père…

– Oui, beaucoup c’est vrai.

– Sauf les yeux…

– …Ah oui ?

– Ce sont les miens ! »

 

 

100 jours que tu es en vie, et on ne se souvient déjà plus d’avoir pu faire sans toi.

 

 

Je rêve de nourrissons qui tombent face contre terre du haut d’armoires démesurément grandes en haut desquelles je les ai portés. Je les retourne, terrorisée, ils sourient. C’est à n’y rien comprendre.

 

 

Hier, j’ai ouvert la fenêtre de la chambre avec toi dans les bras, et je t’ai imaginé passer par-dessus. On me rassure : vie = mort = sang = meurtre.

 

 

Ce que vous ferez au plus petit, c’est à moi que vous le ferez.

Jésus – Meeting d’été – An 25 – Rapporteur : Matthieu.

 

 

Sur Arte, ils passent le documentaire « L’Homme a mangé la terre », des amis me conseillent de le regarder. Comment leur expliquer qu’on a déjà utilisé près de 1116 couches. Une couche se dégrade en 500 ans. Cumulés, ce sont donc 558 000 ans rapportés aux 6 premiers mois de vie de notre nourrisson. Les couches écolo que nous utilisons sont composées de 50% de matériaux renouvelables (ce qui nous permet encore de nous regarder dans le miroir, mais de profil). On passe directement à 279 000 ans : ça devient carrément raisonnable. Et je ne parle pas de l’eau minérale. Un mois, on a tenu un mois à préparer les biberons à l’eau municipale. Et puis un jour, Notre Dame prend feu. Non, ce n’est pas ça. Et puis un jour, on se lève et il faut absolument acheter un pack de 6 bouteilles.  Pour le bien être de son enfant. Pour les bienfaits de l’eau Mont joli quant au développement de son squelette. Pour mettre donc toutes les chances de son côté. Ami-e, entends-tu les méfaits de l’eau du robinet et ton attitude irresponsable pour l’avenir de celui que tu prétends aimer ? (Ton crime rime). Temps de dégradation d’une bouteille en plastique : 400 ans. C’est moins qu’une couche, mais il faut rajouter les 400 ans de l’emballage plastique du pack divisé par 6 = 66,66666 années à ajouter à chaque bouteille. Hasard diabolique ? Je ne crois pas. Et les tétines ? Il faut en changer mensuellement, sinon le pronostic vital est engagé.  Il paraît que moins de 2% des plastiques sont recyclables au sens où le commun des mortels l’entend : une tétine transformée en capuchon de bouteille. Le plastique s’infiltre partout, les couches géologiques n’ont jamais aussi bien porté leur nom, la prise de conscience citoyenne n’en finit pas, et le petit monsieur est né dans un monde où les insectes ne constellent plus les parebrises des voitures sur les routes de campagne, ni le fond des gorges des enfants penchés aux fenêtres, hilares et ivres de vitesse.

 

 

Nos voisins entendent-ils les chants naïfs avec lesquels nous te berçons tendrement … ? « Les Gilets jaunes / sont nos amis ! Le gouvernement / il est méchant ! »

 

 

Jean-Pierre Marielle a attendu que tu viennes au monde pour rejoindre Jean Rochefort. C’est gentil de sa part mais ça ne change pas grand-chose.

 

 

Avant de choisir le prénom de votre enfant, prononcez-le avec le nez bouché. Conseil d’amie.

 

 

Monte-et-souris ?! HAMAIS !! (accent charentais, prononcez le h aspiré).

Nous resterons au sein du système public !

Nous nous battrons aux côtés des professeurs s’il le faut ! C’est l’École de la République ! Un droit fondamental ! Égalité des chances pour toutes et tous à l’école ! De toute façon, on n’a pas assez d’argent pour un plan B !

 

 

J’aime énormément l’émission radiophonique À Voix nue, dans un format généreux, les voix de personnalités qui ont marqué leur temps déroulent leur parcours. Même quand je ne les connais pas, l’intimité de l’émission me ravit. J’aime particulièrement les récits de l’enfance. J’ai noté que les plus grand.e.s parlent souvent d’une prime jeunesse très solitaire, et d’un accès aux livres relatif. Afin de t’assurer le meilleur avenir, j’ai donc décidé que nous t’esseulerons autant que faire se peut et que ta bibliothèque comportera deux livres, auxquels je t’interdirais de toucher. Isolation et frustration devraient faire leur œuvre.

 

 

Parviendrais-je, malgré l’obscurité du dehors, à offrir à ton enfance toute la douceur des souvenirs qui me reviennent aujourd’hui par flashs ? La caresse du vent lors d’un trajet en voiture dans la campagne l’été, la voix de ma mère en sourdine, devant, la lumière orange qui joue au travers de mes paupières fermées et forme des volutes que je suis des yeux, jaune qui joue dans les feuilles du pommier, blanche qui joue au travers des volets de bois le matin, un plongeon dans un réservoir d’eau verte et l’odeur jaune de la vase, le goût du lait, l’odeur herbeuse des champs, la perspective du gâteau roulé à la framboise tous les mercredis midi, les mardis chez mamie, le ciré rose pâle… Tout remonte quand je te tiens dans mes bras, ma petite madeleine. Je voudrais, plus tard, quand la vie te renverra ton propre kaléidoscope de souvenirs, que chacun d’entre eux te ramène à une tendresse suffisamment grande pour qu’elle inonde ceux que tu aimes d’un espoir fou, d’un insatiable désir et de la belle colère de celui qu’on aura chassé du paradis.

 

 

J’ai cousu main mon premier bavoir : les stries de mon sang répandu lui confèrent un petit effet «jungle-trash» pas piqué des hannetons.

 

 

J’ai rencontré le poète et romancier Eugène Savitzkaya. Je vois bien qu’il a la nostalgie des commencements, un peu comme un autre monsieur, Pierre Bergounioux. J’ai acheté les deux livres qu’il a écrit sur ses enfants : Marin mon amour et Exquise Louise. Je pense à ta cruauté : aux souvenirs de ma propre enfance qui rejaillissent à ton contact se mêle systématiquement le constat de l’irréductible distance qui m’en sépare à jamais, comme le revers d’une médaille. Alors, j’ai la nostalgie des commencements. Ça doit pouvoir virer en haine des jeunes ça, avec un peu de fermentation.

 

 

– Qu’y a-t-il ? À quoi tu penses ?

– Je pense que Kirikou est petit, mais que c’est mon ami. Que Kirikou n’est pas grand, mais qu’il est vaillant.

 

 

Mary Shelley perd son premier enfant en 1816. L’ex-femme de son mari se suicide. Elle écrit Frankenstein en 1818. Elle perd ensuite deux autres enfants. Donne naissance à un fils qui survit, mais son mari meurt noyé en 1821. 6 ans. Il y a des destins qui laissent songeurs, n’est-ce pas ?

 

 

Je me demande si te passer Paysans sans peur de Malicorne dans sa version chœur de l’armée rouge recomposé en chantant à gorge déployée est une si bonne idée. On n’a pas encore trouvé ce qui faisait bifurquer les enfants de gauchos.

 

 

– J ? Et si on partait ? En voilier ? Sur les Mers du Sud ? Le bébé en hamac entre le foc et la grand-voile ? Il s’endormirait paisible sous la voûte étoilée, la galaxie entière comme un berceau tournant doucement au-dessus de lui, tout doucement, et le bateau tanguerait gentiment aussi, mimant nos bras, mais en dessous un autre ciel, l’océan, la vie aquatique toute entière, délicate et sûre, ancestrale, prolifique, rassurante, phosphorescente, les étoiles de mer, une famille de baleines poursuivant sa route vers l’Australie… Et la lune en reflets chatoyants sur ces eaux matricielles… Partons, tu veux bien ? De l’audace, de l’aventure, de l’inconnu, hissons la grand-voile de nos désirs ! Arc-boutons les artemuses de nos rêves circoncis par trop de routines purulentes et fades ! Offrons à l’Enfant la Voie Céleste d’une Vie Guidée par des Rêves Suaves et Épurés de Novlangue ! Oh J. ! Libérons notre existence des viles chaînes de la prédestination ! Surprenons Dieu avachi devant le poste ! Tissons ensemble le…

–     …QUOI ? Je n’entends rien avec ce bruit de fond ! Qu’est-ce qu’il y a… ? Tu as pensé aux petits pots pour le week-end à Brédune ?

 

 

– J ? Écoute ça : les dents ont intégré l’intérieur de la bouche à l’époque des Gnathostomes, ça veut dire « bouche ayant une mâchoire ». C’était il y a 450 000 000 d’années !

– …….. C’est vraiment super intéressant. Et ça leur a filé la diarrhée aussi, aux Gnathostomes ?

 

 

J’apprends que pendant leurs premiers mois les nourrissons sentent les choses qu’ils voient, entendent des odeurs, appliquent des couleurs à leurs sensations. C’est complètement fou. La poésie n’est donc qu’une tentative de reconnexion avec cet âge de la grande confusion des sens, et sa traduction. Et c’est tout à fait tragique, comme l’affutage des sens correspond aussi à leur compartimentation, et donc à leur appauvrissement. C’est Conrad Aiken qui le dit si bien dans Neige silencieuse, neige secrète et c’est l’auteur Robert Alexis qui dit si bien l’impérieuse confusion… Les anges déchus seraient donc des enfants mal dégrossis.

 

 

– J . : –  Tu sens la clope.

Moi : – ça m’étonnerait, G mem pa fumé.

 

 

Jattendsunbebe.fr: « Vous entrez dans votre 9ème mois de maternité, félicitations ! Votre bébé à désormais la taille d’un concombre transgénique d’environ 75 cm.  Peut-être pouvez-vous maintenant vous faire à l’idée que vous avez accouché ? »

 

 

 

La représentation d’une géographie urbaine peut varier du tout au tout et en fonction de l’expérience intime qu’on en a, même provisoire. J’en veux pour preuve la distance qui séparent ma vision de l’hôpital avant et après l’accouchement : à peu près ce qui sépare un ULM du Faucon Millenium.

 

 

 

 

Je lis Enfances de classe, une somme de résultats d’enquêtes sur les inégalités sociales, rassemblées par Bernard Lahire : « Dans ces familles, l’exemple de mères davantage lectrices que leurs conjoints peut expliquer les connotations féminines associées à cette activité, et l’appropriation plus aisée de la lecture individuelle de livres chez les filles que chez les garçons, par le jeu des identifications au sein de la famille. »

  1. : Je peux savoir pourquoi soudainement tu me tannes à peu près tous les jours pour savoir si j’ai avancé dans mon bouquin ?!

 

 

Tu tombes malade le 1er mai, on se dit « C’est comme ça », il est 4 heures du matin. On appelle SOS médecins aux heures ouvrables pour ne pas surcharger les services d’urgence. On nous dit « Un médecin arrive dans l’heure.» On se dit « On a de la chance d’être à Paris. » Le médecin arrive 5 heures plus tard, il nous dit : « Allez aux urgences ». On va aux urgences, on nous dit « Il y a environ 1h30 d’attente.» On nous appelle 4h30 plus tard. Le médecin nous dit : « Désolée pour l’attente. » On dit «Vous n’y êtes pour rien, on a de la chance qu’il n’ait rien ». On sort de l’hôpital, on se dit : « on a bien de la chance d’habiter à côté.» Il est 22h30, on te couche, on s’assoit sur le canapé. « CÂÂÂÂLIIIICE !!! C’to ben une criss de journée de marde ça !!! Nom d’un tabernac de ch’terril de min cul !!!»,  qu’on se dit.

 

 

Tu fais exactement les mêmes gestes, utilise les mêmes mimiques, bouge de la même façon que tous les bouts d’Homme qui ont traversé les siècles, tu te développes en suivant des étapes tout à fait prévisibles par lesquelles sont passés des milliards de chiards. Et ton ADN n’existe qu’ici et maintenant. Tu es tout à fait unique, comme tout le monde.

 

 

Tu t’obstines à babiller « ma…pan » ou « pa…man »… Coquinou va.

 

 

Même s’il n’est pas tellement question d’en faire un second, je vois très bien les raisons d’y penser : le besoin impérieux de relativiser.

 

 

Sms indigné de ma mère : « Tu te rends compte un peu : on leur demande de faire caca avec une couche aux fesses, assis sur leur postérieur ! »

 

 

Je te fais découvrir les bulles de savon, ça te fascine et t’amuse beaucoup. Tu commences par les saisir à pleines mains puis tu tentes de les toucher seulement du bout de l’index, mais elles éclatent malgré tout. Tes yeux pétillent, c’est la magie. Dans les minutes qui suivent, tu touches délicatement tout ce que tu croises du bout du doigt, y compris ta mère : on ne sait jamais que la réalité toute entière soit soudain devenu aussi fragile qu’une bulle de savon.

 

 

La petite d’un couple d’amis :

– C’est une baleine son doudou ?

– Un de ses doudous oui, une balèèèèène bleeeeeeue, qui navigue intrrrépide dans les abyssssses ssssous-marrrrins des vastes mers du monde, majestueuse et intemporrr…

– Elle s’appelle comment ?

– Elle n’a pas encore de nom. Tu veux l’appeler comment ?

– Frite.

 

 

Tu manges du sable, quelle riche idée mon amour.

 

 

Voilà, samedi 24 août, 7h18, tu as précisément 9 mois de vie extramuros, autant de temps que celui qui a été nécessaire à ta fabrication. Tu es au monde désormais, et si tu t’accroches à mon bras, c’est pour t’élever et rompre tes attaches. Vers où vas-tu aller ? Tu peux tout devenir, tout, sauf assureur.

 

 

J. : « Parfois je baisse les yeux, je le vois, et je me demande ce qu’il fout là. »

 

 

Il ne faut pas te dire « Tu vas tomber » mais « Sans remettre en cause tes capacités à gérer des situations de crise, j’ai, d’un point de vue tout personnel donc, la crainte que tu ne parviennes pas dans ce cas précis à surmonter les difficultés qui se présentent à toi sous la forme d’un dénivelé impressionnant rapporté à ta taille. »

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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